
Selon l’Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD), la farine de blé est la première céréale consommée au Cameroun après le maïs et le riz. La demande en blé est telle qu’en 2021, l’importation du blé a coûté plus de 180 milliards francs CFA au pays, soit une hausse de 30% par rapport à l’année précédente. Le ministère du Commerce et les opérateurs de cette filière prévoient que les importations devraient atteindre près de 900 000 tonnes en 2022. Or, la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine crée de fortes tensions sur le marché mondial du blé. Pour contourner cela, des initiatives de production de farines locales se multiplient au Cameroun.
Le 24 février 2022, un conflit ouvert éclate entre la Russie et l’Ukraine, marquant une escalade majeure de la crise qui oppose ces pays depuis bien longtemps. Les exportations vers d’autres pays sont affectées et s’ajoutent aux effets de la crise sanitaire due au Covid-19. Le Cameroun qui importait la quasi-totalité de son blé de ces deux pays, doit désormais penser autrement. Sur le plan local, l’on assiste à la flambée des prix de produits alimentaires, y compris de ceux à base de la farine. Le sac de farine passe par exemple de 19 000 à 24 000 francs CFA, la baguette de pain quant à elle est passée de 125 à 150 francs CFA.

Dans une note confidentielle datée du 22 avril 2022, les farines locales figurent dans la liste des six produits interdits à l’exportation par le Ministère du Commerce camerounais. A juste titre, ces farines locales à base de manioc, patates et bien d’autres, sont de plus en plus utilisées et valorisées. La Fédération des acteurs de l’agro-alimentaire a par exemple organisé une conférence gratuite le 15 juillet dernier sur la transformation des tubercules et céréales en farine panifiable et utilisation en pâtisserie. La commercialisation des produits à base de farines locales est de plus en plus pratiquée dans nos boulangeries. A Yaoundé la capitale politique camerounaise, le réseau de boulangerie-pâtisserie « Selecte » propose depuis quelques mois, du pain à base de farine de maïs, de manioc et de patate. A en croire Sotiris Chilas, le Directeur général de cette entreprise grecque, la production journalière ne met pas plus de 30 minutes dans les rayons tellement elle est sollicitée.
La production est encore à très petite échelle. Cette boulangerie située dans plusieurs quartiers de la capitale camerounaise est approvisionnée par la Société Coopérative pour l’Agropastorale, la Sylviculture et la Pisciculture au Cameroun (Socaspiscam), une coopérative agricole basée à Afan‐Loum dans la région du Centre, qui lui fournit en moyenne une tonne de farine par jour pour la fabrication du pain. Le kilogramme de farine de manioc, de patate ou de maïs lui revient à 1 200 francs CFA en moyenne ; toute chose qui contraint la boulangerie à commercialiser sa baguette de pain de manioc ou de patate à 500 francs CFA.
Cathérine Etame Ndoki (39 ans) est la promotrice de “Naturalia, ma petite artisanerie” (Naturalia MPA) située au quartier Mendong à Yaoundé. Elle transforme des produits agroalimentaires en du prêt-à-cuisiner, en vue de les mettre à la disposition du consommateur final souhaitant avoir une alimentation saine. Ainsi, à base de farines locales, elle obtient des produits de qualité, sans gluten (des crêpes à base de farine de manioc, des gâteaux à base de farine de maïs, ou encore des cookies à base de farine de plantain). Pour elle, « la santé n’a pas de prix ».
Catherine Etame ambitionne d’étendre son activité au-delà des frontières camerounaises afin de mieux faire connaître son pays, de développer non seulement l’économie locale, mais aussi d’imposer le label « made in Cameroon » qui selon elle, bien qu’ayant encore un long chemin à faire, est en plein essor. Pour cette ancienne comptable qui s’est investie dans la pâtisserie depuis 2020, « la valorisation des farines locales ne se fera que si et seulement si nous-mêmes les Camerounais commencions par consommer ce que nous produisons car nos farines locales sont non seulement sans gluten, saines, mais elles détiennent en elles plein de vitamines riches en apports nutritionnels. Certaines en occurrence le manioc sont des coupes faim, d’autres farines comme celle du plantain, régularise la fonction du côlon. (…) Nos farines locales ont plusieurs vertus. Si nous les consommons régulièrement, nous apporterons beaucoup de tonus à notre organisme. »
Toutefois, les difficultés qu’elle rencontre sont au niveau de l’accès aux matières premières à cause de leurs coûts élevés, de nombreuses tracasseries au quotidien. « Nous avons besoin du soutien de l’Etat pour nous accompagner au quotidien » avance-t-elle.
Arnaud Noël Fosso