Les musulmans de la confrérie mouride, l’une des principales confréries du Sénégal célèbrent chaque année le Magal, le pèlerinage annuel dans la ville sainte de Touba, située à 194 km à l’est de la capitale Dakar, dans le département de Mbacké. Ce pèlerinage est l’occasion pour les mourides de se souvenir du départ en exil du fondateur de la confrérie, Cheikh Ahmadou Bamba, envoyé en 1895 au Gabon par le colonisateur français.
À cause de ses luttes contre le colonialisme français au Sénégal, au XIX ème siècle, Cheick Ahmadou Bamba est déporté à Libreville. Si tôt arrivé le chef religieux est transféré dans une base de l’armée coloniale proche de l’actuelle place de l’Indépendance. Plus d’un siècle après ce débarquement, ce sont des jeunes désœuvrés qui occupent l’endroit. Ils y lavent des voitures.
Cheikh Ahmadou Bamba a pourtant vécu 3 mois à cet endroit. Victime d’humiliations et de brimades, le guide religieux avait toutefois obtenu de ses geôliers la possibilité d’aller prier à environ 300 mètres de son cachot. Ainsi, l’un des premiers Sénégalais arrivés au Gabon supplia l’administration coloniale de bâtir une mosquée sur le lieu où priait Cheikh Ahmadou Bamba. Ce fut la naissance de la mosquée centrale de Libreville, l’une des plus grandes et la plus ancienne du pays. « Nos aînés nous disaient que la mosquée avait été construite par un Sénégalais qui s’appelait El Hadj Ndaré Mbaye », affirme un Gabonais adpete du mouridisme.
Les mourides du Gabon préservent la mémoire de multiples histoires sur ces années d’exil de Cheikh Ahmadou Bamba. Un miracle se serait déroulé lors des premiers mois d’exil de Cheikh Ahmadou Bamba à Libreville. En 1895, après trois mois de captivité, les colons choisissent la jungle du quartier Montagne Sainte pour fusiller le Cheikh. « Il y avait douze tireurs d’élite avec leur chef. Ils voulaient fusiller le Cheikh à la Montagne Sainte. Mais Dieu a fait qu’on a retrouvé morts tous les gens qui voulaient le tuer, et on ne sait même pas ce qui les a tués… Donc ça, c’est un miracle de Dieu… », argue un fidèle mouride.
D’après l’histoire, le Cheikh avait été préalablement attaché à un manguier. Lorsque l’arbre a été déraciné quelques années plus tard, un puits d’eau pure s’est formé à cet endroit. Les mourides disent qu’il est intarissable.
L’exil à Mayumba
Face à ce phénomène, les français décident d’expédier Cheikh Ahmadou Bamba par bateau à Mayumba, au cœur de la forêt équatoriale au sud du Gabon. Plus d’un siècle après, Mayumba est demeurée l’une des localités les plus difficiles d’accès du Gabon. Pour s’y rendre, il faut d’abord prendre l’avion pour Tchibanga, la ville la plus proche située à 118 km de Mayumba. Arrivé à Tchibanga, un taxi brousse embarque à 17h. Entre les bourbiers, il faudra trois heures de temps environ pour parcourir la distance. Une fois à l’entrée de Mayumba, il faut encore franchir le fleuve Banio. A cette heure de la soirée – vers 20h –, il est quasiment impossible de cheminer sur le long du fleuve. Obligé de passer la nuit.
Au réveil le lendemain matin, c’est le début du voyage vers la mission catholique où Cheikh Ahmadou Bamba a été incarcéré. Une pirogue à moteur permet de circuler sur le fleuve Banio. Puis il faut gravir la montagne qui conduit à la mission catholique. Seuls les chants d’oiseaux déchirent le silence de cette forêt humide. C’est au pied d’un cocotier et d’un citronnier que se trouvait le cachot de Cheikh Ahmadou Bamba, au centre de la mission catholique de Mayumba.
Pendant ses 5 ans d’incarcération à Mayumba, Cheikh Ahmadou Bamba avait le droit de descendre de la mission catholique au sommet d’une montagne pour aller prier. Après 7 ans d’exil, les colons français l’ont ramené au Sénégal. En 1921, le cheikh organisa publiquement, pour la première fois, l’anniversaire de son départ en exil. Il recommanda ensuite aux mourides de rendre grâce à Dieu chaque année à cette date, par l’adoration de Dieu, la lecture du Coran et la distribution des repas. Cheikh Ahmadou Bamba meurt le mardi 19 juillet 1927 à Diourbel. Son corps fut transporté par voiture le lendemain à Touba et fut inhumé dans sa maison, rattachée à la grande mosquée de Touba.
Yahaya Idrissou